Philo de comptoir

Le ciel était recouvert d’une cataracte ; bien que le temps fût clair, cette brume qui taisait son nom ajoutait un je ne sais quoi de nauséeux dans les cœurs.

Le carrelage ciré luisait de sa présence.

Ses yeux souriaient pour ses lèvres ; un muscle y tressaillit.

*

Il inspira l’odeur et les idées ; à la ronde ; secoua de déni sa crinière amazonienne.

« Ressens-moi ça, damné philistin. »

L’autre fit une moue de déni ; il se prit une chiquenaude sur l’oreille.

*

« Sors ta truffe du nombril ; émerveille-toi de chaque instant sur cette planète ; partage l’amour de l’être humain, de la Nature, de la vie. »

Avec dédain, l’autre détourne la tête en balayant de la main son espace aérien.

« Prends garde à ton haleine de prosélyte, tu charges l’air de naphtaline. »

*

« Non seulement je vais te soulever l’estomac, mais je m’apprête à t’ouvrir le crâne. »

L’eau glisse le long de la ficelle.

La feuille s’agite de spasmes quand une goutte s’y écrase ; la pluie s’abat, l’arbre est vivant.

*

Le chant du merle est une pure création musicale, indépendante et renouvelée.

La rosée condense sa lanterne matinale au gré des brins d’herbe.

Même les nuages ronflent comme les flammes sous le plafond atmosphérique.

*

L’humour est une fête de l’intelligence ; l’amour est une force de l’habitude ; la mort est une farce de l’éloignement. [La misère est une faute de l’humanité.]

Les grains de sable se frictionnent pour apporter leur chaleur au monde.

Il est ainsi que s’entend par le grondement et le craquement la voix de l’éclair ; sublime brute.

*

Un champignon céleste contraste la foudre tonitruante avec le silence ouaté au sol.

Les grêlons bondissent dans l’herbe telles des sauterelles blanches.

La mémoire est le seul désordre que l’on tolère, que l’on prospère, que l’on exécute.

*

L’amour rend aveugle, le soleil également ; l’amour détruit, le soleil aussi ; l’amour révèle, le soleil de plus belle.

La glace qui fond rejoint la mer des larmes : il n’existe pas de glace qui soit éternelle.

Les nervures de la feuille sont les lignes de la main.

*

Plus c’est fort, plus c’est fou, plus c’est faux.

L’unique désert où la désolation seule vainc est de type religieux.

Marcher sous la pluie ensoleillée, cheminer sous la Voie Lactée : quelle est la différence ?

*

Le passé peut être source d’enrichissement, d’emprisonnement et d’empoisonnement : prends le pétrole.

Traverser la toundra, c’est comme passer ses doigts sur un crâne chauve ; on s’aperçoit soudain que la Terre est ronde !

Aux meilleures choses, il est plus aisé d’y trouver une fin qu’un début.

*

Confondre une edelweiss avec de la neige ; autant confondre le chant des baleines avec un sonar.

Toutes les nuits, on ricoche sur le sommeil ; jusqu’à la dernière.

Une galaxie, c’est comme deux œufs au plat l’un contre l’autre ; de là l’origine du respect pour la cuisine.

*

Fraise, framboise, fromage : ne pas chercher l’intrus.

Un grain de poussière qui flamboie, c’est une étoile filante ; une planète qui rougeoie, c’est Mars qui enchante.

Qui traîne la jambe médit son pied.

*

« Je ne pense pas avoir tout saisi ; certaines phrases restent bien mystérieuses, parfois le son, parfois le sens ; et par certains côtés, je fus séduit. »

Il ne dit mot, tout juste accrue-t-il sa vue en baissant piano ses paupières.

« Chaque mot a une histoire ; chaque phrase a une histoire ; ce qui t’a touché n’est autre que la réponse musicale qu’a pu interpréter ton esprit envers l’histoire que tu as donnée à chacune des phrases entendues. »

*

« Ensuite, naturellement, elles vont se graver sans douleur en toi, au plus profond car tu y auras prêté davantage attention qu’à l’accoutumée ; elles te forgeront, oh, finement, irrémédiablement, transformant tes perceptions. »

L’autre sentit le sang lui battre sensiblement les tempes encaissant les chocs.

« Personne n’est le dernier, tout le monde croit être le premier : me trompé-je ? »

*

Ses lèvres se retroussent en un sourire plus prononcé, impression marquée par l’ombre engendrée aux commissures ; il s’efface bien vite.

« Apprendre est un verbe galvaudé, de nos jours ; je suis heureux d’apprécier à nouveau l’éclat de son effet dans les paroles d’autrui. »

Le silence est une vertu qui se jauge à l’aune de nos réflexions ; le temps y est hors de propos, importun.

*

« Aussi âgée qu’une fougère, aussi fringante qu’une ortie, aussi coupante qu’une oyat doit être ta vivacité d’esprit. »

Chatouiller est le propre du contact ; une démangeaison tenace lui titillait le fond de la pensée.

« Deux papillons qui batifolent : y a-t-il mieux auquel on peut sans peine se comparer ? »

*

« Une piste dans les hautes herbes : voilà tout ce à quoi il faut s’attendre. »

« Doublée d’une immense partie de cache-cache. »

La joie illumine leurs visages, terrasse leur fatigue ; ce sont des rides d’un genre à part.

*

Les premières gouttes s’impriment telles des taches de rousseur sur la terre.

Une odeur fraîche s’élève du sol au moment où celui-ci paraît avoir suffisamment bronzé.

Le murmure de l’averse ruisselle, emportant les débris spirituels.

*

Tandis que l’eau crépite sur leurs épaules, le tambour cardiaque résonne plus profondément.

« Parfois, chercher est épuisant, s’abandonner est reposant ; ce n’est pas l’idée d’une défaite, c’est un rebond. »

La figure dégoulinante, l’autre acquiesce ; il passe une main sur son visage, envoyant valser d’innombrables projectiles.

*

« « Croire n’est pas penser », ai-je l’habitude d’affirmer ; le problème étant : tu t’appuies sur les croyances d’autrui pour en former des propre à ta personne, ces individus s’appuient ensuite sur les tiennes, formant un cercle de croyances. »

« La question se résumerait donc à : « Qui veux-tu croire ? » »

« Pas tout à fait, elle serait plutôt du genre « Si ce n’est par la pensée, à quel moment naît la croyance ? » »

*

« Si je voulais être sévère, j’argumenterais dans le sens qu’une croyance est une forme de paresse, nous interdisant de réfléchir par nous-mêmes. »

« Entre faire confiance et devenir crédule, il y a un choix de vie à effectuer. »

La pluie s’éloignait, fredonnante ; elle ne lave rien, elle déplace.

*

« La nuit rend le monde cotonneux ; toute idéologie – religieuse, sociale, économique… – et ses médiats insufflent du chloroforme dans le cerveau des gens. »

« Les extrêmes ne payent qu’en violence. »

« Les traditions héritées deviennent tout aussi intransigeantes, alors qu’elles devraient tenir lieu de repères pour, paradoxalement, s’émanciper. »

*

« Que dois-je faire : avaler sans discuter ce que j’entends, ou mettre tout systématiquement en doute ? »

La pluie n’avait pas chassé cette brumeuse cristallisation atmosphérique qui en aurait dérangé plus d’un.

« Le problème est la dichotomie que les hommes appliquent indifféremment à n’importe quel type de sujet, ou de questionnement. »

*

« Se placer en équilibre promet un va-et-vient salutaire entre les autres positions ; le piège est de ne pas se sentir tiraillé entre elles et de paraître opportuniste. »

La tiède humidité ne permettrait pas un séchage rapide ; les vêtements collaient à la peau, mais qui s’en souciait ?

« L’équilibre n’est pas synonyme d’immobilisme ; la stabilité n’empêche aucunement d’évoluer. »

*

« J’aime le beau ; la laideur n’est-elle qu’une appréciation du beau, alors certaines laideurs sont magnifiques. »

« Dans ce cas, le suicide est-il beau ? »

Vent froid soulève feuille morte ; question précise demande réponse honnête.

*

« Mourir d’un fou rire, s’éteindre en faisant l’amour, disparaître pendant son sommeil : pour soi, ce sont des fins sublimes ; le suicide, non. »

« L’amour, la vie, l’amour de la vie sont des notions inestimables (quoique j’en doute parfois pour nos jours), de toute beauté. »

« Lorsqu’on se suicide, le message envoyé est que l’on a perdu le goût en elles, on a renoncé à percevoir et recevoir le beau en elles ; ce qui est terrible. »

*

« Cela signifie que l’on a fait passer sa propre vie au second plan, que quelque chose a si fortement happé l’attention qu’elle en a décoloré tout ce qui vous entoure ; voilà ce que j’appelle une conduite extrême. »

Déstabilisé, l’autre valse des pieds, tricote des doigts et roule des yeux.

« Comment voulez-vous que j’arrête le chocolat ?! »

(FiN)

ἔβενος φῶς

Rue Ronsard

Une travée aux pigments ternes et tristes,

Transpercée par des trous et des crevasses bétonnés.

Un sentier de guerre où gisent les corps désabusés de frêles ados sans espoirs.

Des jeunes meurtris et tourmentés,

Comme cette longue trainée de goudron qui traverse Talence,

Jusqu’au sinistre arrêt de Tram, Doyen Brus.

Une porte vers la Liberté.

Adossés à cette route infernale,

D’affreux bâtiments métalliques,

Vantent les funestes mérites

D’un monde d’argent, de sciences et de profit.

Derrière ces grilles, des silhouettes en costumes,

Luttent contre la Roue du Temps.

Etriqués dans leurs tenues, ces pantins cadavériques,

Courent pour rattraper la vie.

Quelquefois, ces ombres endimanchées toisent avec stupeur,

D’étranges piétons montés sur des machines.

Des adultes aux membres mutilés,

Que le monde a jadis abimés.

Avançant prudemment sur cette voie escarpée,

Les passants en fauteuil roulent pour fuir la morosité.

Une cigarette glissée entre les lèvres, ils tentent de s’évader.

Hélas le voyage reste de courte durée,

Et la réalité reprend ses droits,

Une fois le soir tombé.

Parfois lorsque je remonte cette rue,

Je me dis que c’est la peine qui hante ces pavés.

Des larmes de bitume qui coulent sur les trottoirs,

Et ruissèlent sur les graviers.

Rue des Faures

S’accélère le mouvement des jambes. La femme pénètre la rue. Trois fois elle y enfonce son corps. La rue des Faures. Trois fois il verra.

*

5° C. 8 heures le matin. Le Bazar d’Istanbul, 2 rue des Faures, ouvre.


Mains. Une manche. Deux. Ça va vite. Pressée ce matin. Heurtent les corps.
Prennent appui sur les poteaux. Puis rentrées dans les poches. Fin de la rue.

Yeux. Marchands de fruits déplient boutique. Détritus de légumes sur le trottoir.
Pigeons déjà réveillés. Couleurs pas encore prononcées. Homme cagoulé passe à vélo. Larmes. Le froid opère. Quittent la rue.

Oreilles. Bing. La cloche de Saint Michel crache son huit-heures. Entendent le sifflement des roues des vélos pressés. Grattement du balai sur le trottoir devant la boutique. Moteurs qui ronronnent. Écho des musiques électriques des casques audio. Un sifflement dragueur matinal. Les talons claquent. La rue des Faures commence sa symphonie pastorale.

Langue. Goût du sommeil dans la bouche.
Rien à dire encore.

Nez. Sucré. Poivré. Dépassé de mode. Tourné. Imposant. Excitant.

8 heures rue des Faures : les parfums de femmes s’exhibent.

Quant aux mâles, les odeurs de fauves sont masquées au savon. Ou mieux encore : eau de Cologne.

*

10° C. 12h00. Le Bazar d’Istanbul fait son chiffre d’affaire.


Mains. Bousculent encore les étrangers.
Capture un ballot de menthe fraîche.

Yeux. Foule maintenant. Couleurs vives. Bouillonnement. Vieux turc à canne, veste taillée, toque matelassée. Blanc du tablier du boucher halal.
Jeune extravertie au blouson léopard. Les visages défilent. Et les yeux de la femme tournent les pages. Combien de ces silhouettes se savent inscrits dans l’épopée rue des Faures ?
Évitent les vélos. Suivent un homme à la beauté grecque. L’Arabe guette l’entrée de sa caverne. Théières en acier reflètent le soleil prétentieux.

Oreilles. La cloche balance du sacré à tout va dans la rue. Se heurtent aux langues inconnues. L’excitent. Cacophonie complète. Jeunes filles rigolent. Échos du marché.
Tambours arabes et muezzins veulent leur place sur la portée. Bataille incongrue : ding ding des sonnettes deux roues contre les tut tut des quatre roues. Rythmes fous.

Langue. Morceaux de pains turcs engloutis. Le goût du frais qui s’éternise dans la bouche.

Nez. Le linge vente son odeur de propreté en sortant de la laverie.
Les poulets contre-attaquent. Car peaux grillées et cuisses huilées. Exhibition totale.
Ah ! Embrasement d’une gitane. Reconnaissable entre toutes. Et puis l’odeur de la coriandre, du vieux tissu, de l’antimite, des bazars turcs. Le nez savoure et s’en va.

*

15° C. 19h30. Le Bazar d’Istanbul remballe ses cagettes vides.


Mains. Prennent le temps de sentir la rue.

Yeux. Voient les couleurs s’estomper. La rue reprend son territoire. Laisse place à une autre forme d’occupation : la nuit.

Oreilles. Fin de la partition. Lointains échos des ballons de Basket. Quelques voix encore. Grincement des grilles qu’on tire.

*

Langue et nez ne ressentent plus rien ici.
On plie boutique. On rentre chez soi. Le silence s’installe.

La femme soudain se remémore les langues inconnues. Et puis quitte la rue.

Silencieusement vôtre.

Par Sara Ghazali, et Eloi Morterol.

Ça commença aux environs de trois heures et demie par un léger gratouillis aux fenêtres, deux mois auparavant. Nous habitions en ce temps-là au dernier étage de l’immeuble. Au 24ème très exactement. Le plus agréable selon le propriétaire. Parlons-en ! Il était bien situé sans aucun doute… entre deux nuages… et un cauchemar. Mais laissez-moi vous le décrire. Par où commencer ? Charles l’avait choisi pour le pot de fleurs situé sur le rebord de la fenêtre au quatrième. Raison que j’avais trouvée tout à fait suffisante pour notre installation 17 étages plus haut. Évidemment, nous avions cordialement détesté la gentille mère de famille qui possédait ce pot-là, et qui n’avait  pas voulu nous le céder. Autour du pot de fleurs, une fenêtre. Comme la nôtre. Autour de la fenêtre, un ravissant bâtiment datant du début du XIXème. Sans doute bâti par un illustre architecte aussi inconnu que talentueux. Les briques rouges, délavées par les pluies fréquentes dans ce quartier, donnaient à la demeure la couleur du coucher de soleil que j’admirais lorsqu’enfant mes parents nous emmenaient dans les dunes proches de l’océan. Cette teinte rappelait à Charles la couleur des joues de sa mère mourante.

Au rez-de-chaussée vivait… le Concierge. Aussi vieux que la bâtisse. Quoique plus croulant qu’elle. Il habitait dans une unique pièce qu’il laissait ouverte à tous les vents, et à tout habitant. Etaient rangés là les parapluies de chaque appartement, la radio qui diffusait constamment un vieux blues, un lit, un livre, un four, et le vieil homme. L’escalier en pierres noirâtres, polies par le temps et les fréquentes allées et venues des habitants, montait jusqu’au 20ème. Pour atteindre les étages supérieurs, il fallait emprunter l’escalier des bonnes, nettement moins majestueux, mais bien plus charmant. De fond en comble vivaient pèle mêle et indifféremment le Concierge, la mère de famille et ses charmantes têtes blondes, un scientifique à moitié fou, Jojo, Gervaise la vieille fille du 45, un jeune hippie qui s’était autoproclamé artiste, un aristocrate, et tant d’autres qu’on ne voyait jamais… Sans nous compter évidemment.

Le gratouillis persistait. Deux mois que nous l’entendions tous les jours. À la même heure. Ma théorie la plus logique reposait sur le fait qu’un écureuil ponctuel puisse nous harceler pour des raisons obscures. L’explosion de rire que mon idée reçut alors que je l’exposais à Charles l’avait à jamais détruite. « Espèce de bouquiniste sceptique ! » avais-je osé lui répondre avec hauteur. Ses livres… voilà bien tout ce qui l’intéressait. Toujours est-il que le bruit nous poursuivait de son ire, il nous réveillait toutes les nuits. Je peux vous l’avouer, j’ai commencé une enquête, il y a déjà une semaine, et aujourd’hui je l’attendais! Charles m’aidait comme il pouvait. Cela dit sans lui je ne serais sans doute pas en train de l’attraper… ce bruit. Je lui avais demandé comment récupérer des informations sur la création de l’immeuble, et la seule chose qu’il avait trouvée à me répondre fut que je ferais bien de m’intéresser à la seule chose vivante ici…

-Essayons la Radio ! Avais-je conclu. Visiblement il s’attendait à autre chose.

J’étais descendu en hâte dans l’appartement du bas, il y avait une tarte et un soufflé dans le four qui brulaient en grand concert, et aussi bizarre que cela puisse paraître, la radio était éteinte. Totalement loufoque, jamais elle ne s’éteignait! J’essayais de tourner les quelconques boutons afin de la ramener à la vie, mais rien n’y fit. Elle refusait de m’obéir. Le vieux surgit de derrière les parapluies. Il jeta un regard apeuré vers l’objet éteint, et sortit comme s’il avait le diable au cul. Tout allait de travers ce jour-là, il n’avait pas pris son parapluie. Il savait pourtant que l’intempérie du soir avait été avancée vers le milieu d’après midi suite à la discussion entre les associations : « les amis du quartier » et « un quartier d’amis ». Étrange après-midi vraiment. Soudain le lit grinça. Je ne sais pas vraiment pourquoi, mais ce bruit m’atteignit en pleine face. Un bruit violent, plein d’une méchanceté souveraine, d’une haine du silence si profonde que j’en fus choquée. Je remontais en courant les 24 étages, et trouvais Charles dans son monde de mots et de phrases silencieux. L’évidence m’apparut lorsque j’entendis toutes les portes de l’immeuble s’ouvrir en même temps, les pinceaux du hippie s’agiter, la guitare de Jojo jouer, la télévision de la vieille jacasser, la domestique de Monsieur le Marquis  rouspéter, les expériences du scientifique exploser…  J’entendis même la fleur de la mère de famille en train de pousser. Notre maison était infestée de bruits! Je fermais la porte, fit un signe discret à Charles et lui donnais les conclusions de l’enquête. Le silence subissait les assauts de ses éternels ennemis qui aiment tant se glisser dans la plus anodine des choses… l’homme. La bâtisse subissait une attaque en règle depuis trois mois, et se voyant découverts, les assaillants lançaient la dernière offensive. C’est là que j’entendis notre bruit, celui qui se chargeait de notre silence, celui dont la mission nous concernait. Il se propageait doucement, mais de façon insidieuse par l’escalier transmettant les instructions aux autres. Charles et moi-même étions responsables du silence de la maison…

Aujourd’hui je suis prête, après une semaine de travail acharné, Charles, ses livres, et moi-même avions trouvé la solution. Le moyen inventé, il ne restait plus qu’à l’utiliser. Le général ennemi sentant l’atmosphère silencieuse de la pièce dut comprendre combien le son de ce moment allait déterminer l’issue de cette guerre. Il jeta ses dernières forces dans la bataille. La pluie se mit à tomber drue, claquant contre les vitres, lançant des milliers de piques, perçantes, hurlantes. Les volets claquèrent sous l’effet du brusque vent. Ce fut lorsque le pot de fleurs chut que je lançais la contre-attaque. Je tournais lentement autour de cet étrange grattement, et lui imposais le silence d’un regard, pour cela il suffisait d’une chose… d’une phrase. C’est tout naturellement Charles qui m’avait donné une fois de plus la solution. Je n’eus besoin de dire qu’une phrase. Une seule.

«On fait beaucoup de bruit pour obtenir le silence »

Désarçonné par cette simple réalité des choses, le bruit chut une première fois. Comment? Pourquoi, lui, ne voudrait-il qu’une chose? Celle-là même qu’il hait le plus? Je sentis qu’il se fermait à toute réflexion et donnait le coup de grâce.

« Beaucoup de bruit pour rien », mon cher… car « le silence est l’interprète le plus éloquent de la joie». Élevez-vous l’esprit. Devenez humain et pourquoi pas… divin? J’ai une solution à vous proposer, le silence est un monde que rien ni personne n’empêchera de vivre, il est. L’homme sans silence n’est rien, vous les bruits vous n’êtes bruits que par le silence, le silence à nos oreilles vous fait vivre. Qui nous donnera l’ouïe si vous le submergez? Devenez intelligent.

Le gratouillis m’écouta. Et lorsqu’un bruit écoute, le monde se tait.

Le concierge tourna le bouton et le concerto pour piano nº 01 en Fa majeur se fit entendre dans la vieille maison. Le bruit avait appris à penser. Les Fragments de culture de mon cher Charles avaient fait des merveilles. Je décidais de me lancer dans la lecture des Misérables.

Production littéraire

Ça commença aux environs de trois heures et demie, par un léger gratouillis aux fenêtres. Cela continua, toute la nuit, sur les murs, le sol, les rideaux. Toute la maison se mit à se tortiller comme une enfant chatouilleuse, et au bruit d’un éclat de rire tonitruant, elle s’éveilla. La maison de ses rêves était comme celles que, petite, elle dessinait : avec des bras, des mains, des fenêtres-yeux et une porte-bouche. Un jour, elle a enlevé le voile devant ses yeux et a vu s’envoler le petit tas de cendres de son enfance par la fenêtre. Ensuite, elle a pleuré.

On pourrait énumérer : ses rêves oubliés qui servent de terreau fertile aux rêves prochains, annihilés par ce manque de force qui survient lorsqu’on est seul face à tout, sans personne pour nous encourager au départ et à l’arrivée. Ses mensonges qui peuplent une solitude qui croît à chaque instant, assez forte maintenant pour vaincre les crises, les moments de détresse erronés. Malgré tout, elle finit toujours par se relever, debout sur ses deux pieds, sans trop savoir comment. Ses choix insensés, cette rupture, les convictions qui nous ébranlent, la fatigue de ses nuits sans sommeil, à jouer les valseuses et les petites dormeuses.

Elle voudrait être une de ces écrivains à l’odeur des cigarettes consumées, aux tasses de café froides et à l’air silencieux, ces marginaux incompris. Ses rêves avortés. Toujours le même cercle qui ne mène nulle part. Elle voudrait se lever et le crier haut et fort, elle l’a chuchoté au creux d’une oreille.
– « Essayons la radio ! », dit-elle, doucement.

C’est l’histoire d’un homme
Au cœur de bois.
La mer est calme
Sur l’écran de la caméra
Comme une ampoule grillée
Dans un seau d’eau…

Au son de la musique oscillante, elle s’endort. La maison dans les rafales de vent laisse entendre des bruits de mâts grinçants, des airs d’accordéon enjoué.

The sea is calm
Trough the video camera
Like a dead bulb light
In a bucket of water
Yes in a bucket of water…

Le bateau l’emmène vers des îles aux eaux chaudes, aux terres recouvertes de champs de cannes peuplées de fantômes, lieu des amoureux éternels, des trésors enfouis. Le ressac de la mer dans le port, ses pieds enfouis dans le sable noir et tiède.

The sea is calm
Trough handmade lenses
Like animals
In soundless dream
Like animals
In bottles of butter
A miniature sailboat
Tin foil and paper
The waves are big
And there’s a warm wind

Il était sous le feu des projecteurs
D’un soleil cassé.
Il a jeté son corps comme une ancre
Comme un sucre
Et il s’est dissout.

He’s in the spotlight of a broken sun
He dropped his bo…

Elle ouvrit les yeux. Elle avait oublié qu’il y avait une tarte et un soufflé dans le four. Ce soir cet homme vient, cet homme au cœur de bois. Elle ronge le cœur de cet homme par son amour enfiévré et destructeur, comme la mer qui polit le bois, petit à petit. On lui a dit un jour : « Si le prix à payer est de mourir étouffé de chagrin, on s’en fout, ça vaut le coup d’oser s’aimer maintenant peut-être un peu trop fort, mais d’y croire jusqu’au bout. »

Ensemble, ils ont entendu les chants antiques et ont chanté en chœur. La première valse, le premier tango et les ritournelles, les élans muets, la java à regret, la samba errante.

De blasphèmes en hérésie, ils entendent en silence la nature se déchirer dans la nuit clair-obscur, sous la lune à peine dissimulée par de lourds nuages. Ils sentent les gouttes de pluie presque acides sur leur peau nue, se mélanger à cette infinie tristesse qui suinte de tous les pores de leur épiderme. Le ciel a des nuances brumeuses d’hiver, ils regardent autour mais ne discernent plus rien, ils sont perdus. Ils avaient pensé laisser chimères et démons derrière eux, mais ils ne trouvent devant eux qu’un monde plus effrayant puisqu’ils l’affrontent maintenant seuls, sans l’assurance de quelques bougies allumées, d’une main tendue, d’un amour protecteur.

Ils entendent les chants antiques sans plus être capable de les murmurer, ils remuent les lèvres en espérant que les ancêtres ne s’apercevront pas de la supercherie.

Aux pieds des oliviers palpitent les origines.


Mélissa, Première année Éd-Lib