Avec Jean-Yves Cendrey…

Petite escale avec Jean-Yves Cendrey au café les Mots Bleus, le 8 avril 2010…

Suite à une performance à couper le souffle et à mourir de rire, de Jean-Yves Cendrey et son éditeur des premiers jours (les éditions L’Arbre Vengeur), sur une lecture cocasse de passages de son ouvrage paru en septembre 2009, Le Japon comme ma poche, Élodie et moi-même sommes allées à sa rencontre pour lui poser cette question : « Dites M. Cendrey, pourquoi Berlin ? » (son lieu de résidence et celui où se déroule l’action de son non moins formidable ouvrage Honecker 21 (paru chez Actes Sud, en 2009). Il nous répondit, à brûle-pourpoint, en substance ceci : « Nous avons ressenti, avec Marie [N’Diaye], une certaine fatigue de l’Hexagone… ». Selon lui, Berlin est une ville qui, malgré une situation géographique peu avantageuse – plaine austère, à 80 km de la Pologne, et une histoire particulière – la guerre et une destruction à 60-70% il y a 60 ans, ville défigurée par l’Histoire donc, connaît aujourd’hui une vitalité exceptionnelle, portée et insufflée notamment par la jeunesse. Il qualifie cette vitalité de relativement unique en Europe : à ses yeux Berlin est une ville récente finalement, singulière par son architecture, à l’inverse de Rome, Paris, voire Bordeaux, qui sont des « villes confisquées » datant des 18ème et 19ème siècles. Aussi, après un aller à Paris suite à la chute du Mur et la prise de la capitale allemande par des groupuscules néo-nazis, le retour se fit dès que possible à Berlin. Car on y trouve une atmosphère et des conditions de vie permettant aux jeunes de vivre, de « s’en sortir un peu » : ces jeunes investissent des quartiers entiers et y apportent un « esprit cool… ». À bon entendeur, salut !

Mouna

A&A : interviews croisées

Angélique et Antoine sont tous les deux étudiants en Année spéciale d’Édition/librairie. Ils ont pris à la rigolade le fait que je veuille les interviewer dans le cadre d’un article à déposer sur Oulibo… mais le lendemain, lorsque je me suis pointé avec mon dictaphone et mes questions, d’aucuns ont moins fait les malins (héhé). Voilà le résultat.

Angélique/Antoine, bonjour.
Bonjour !

On sait par définition que tu aimes le livre. Du coup, quel est ton parcours ? Qu’est-ce qui t’as amené à vouloir devenir libraire ?
Angélique : Mes études se résument à un Master I en Lettres Modernes, puis j’ai tenté le CAPES, avec une année de préparation en amont. Mais ça n’a pas marché comme je le voulais… Je n’ai pas retenté le concours. Ensuite j’ai travaillé plus d’un an et demi dans un Cultura. C’est pourquoi je pense que lors de l’entretien d’entrée pour l’AS Éd-Lib, j’avais déjà un projet mûrement réfléchi en tête. J’avais notamment affirmé que pour ma part l’adéquation commerce et culture m’est importante.
Antoine : Ohla ! Eh bien je suis né en 1988 à Moulins-sur-Allier, petite bourgade tranquille d’Auvergne. Je suis arrivé à Bordeaux lors de mon année de Première où j’ai fait un bac ES, et pas un bac littéraire comme beaucoup. Et je me suis dirigé vers trois ans d’Histoire à la Faculté de Bordeaux parce que c’est ce qui me branchait le plus. Ayant eu ma Licence j’ai cherché à faire quelque chose qui me plaisait aussi et j’hésitais entre journalisme et libraire, et le sort a décidé pour moi puisque je me suis loupé au concours de journalisme et j’ai réussi le concours de libraire. C’est pour ça que je suis à l’IUT, car le livre me fascine.
Et libraire plus spécifiquement alors ?
Oui, parce que je ne pense pas avoir les capacités nécessaires pour gérer quelque chose en édition, tout ce qui est recherche, tout ce qui est façonnage d’ouvrage… Je laisse ça à des gens plus professionnels. Je préfère vendre la production et non pas la faire.

D’accord. Quelles sont les différences que tu ressens entre travailler en librairie et travailler sur un stand ?
Travailler sur un stand, ç’a tout du bon côté du métier. On rencontre des auteurs, des gens de tous horizons, l’ambiance est festive… Mais le métier de librairie a aussi des inconvénients non visibles sur les salons, comme la gestion du stock.
Déjà on voit des auteurs, des gens connus…
C’est moins fréquent en librairie ?
C’est-à-dire que quand je prends le programme de Mollat, tu as beaucoup de personnes qui viennent, mais ce n’est pas tous les jours et ils ne sont pas dans le rayon, généralement. Alors que là, justement, il y a beaucoup d’auteurs qui viennent signer en un temps très court. Ce que l’on peut voir d’autre en différence c’est qu’il y a moins de conseils clients que lorsque l’on est en librairie ; là les gens furètent directement, savent à peu près où se trouvent les livres, savent ce qu’ils veulent et viennent juste pour encaisser.

Et pourquoi as-tu choisi le secteur jeunesse/adultes ?
En librairie, jeunesse précisément, j’ai l’impression que le jeune public est plus « ouvert » aux conseils, que son goût est plus aiguisé en ce qui concerne les albums jeunesse. Et puis voir déambuler les tout-petits entre les rayons… J’aime bien.
C’est un coup de bol ! Au début je devais travailler sur le stand de l’Entre-Deux-Noirs, la librairie de Christophe Dupuis, mais malheureusement je n’ai pas pu y travailler parce que l’équipe était déjà au complet, ça ne l’intéressait pas d’avoir quelqu’un en plus. Donc j’ai été pris par Virgin qui eux avait besoin d’un peu plus de monde et il se trouvait qu’il restait de la place en littérature générale, ce qui me tentait bien, vu que je sors d’un mois de stage en librairie section jeunesse.

Comment vois-tu l’avenir du métier de libraire ?
On aura toujours besoin des libraires ! Mais quand on voit que de plus en plus de librairies indépendantes ferment, c’est flippant. Au Royaume-Uni le climat est plus grave qu’en France, mais quand même…
L’avenir, il sera à mon avis qu’on sera toujours là, bien que beaucoup d’oiseaux de mauvais augures veulent nous enterrer directement, nous dire que de toute façon on va mourir, qu’on ne servira plus à rien avec l’arrivée du numérique. Moi je pense que le livre papier continuera à exister. Par exemple, quand tu vois un Citadelles & Mazenod énorme, qui coûte 150 euros mais avec une qualité exceptionnelle de papier, d’encre… tu essaies de trouver ça en numérique, ça ne donne rien. Les albums jeunesse, c’est pareil. Les deux mondes vont exister je pense, et ce n’est pas parce que le numérique va apporter beaucoup de chose que le papier, et la librairie à plus forte raison, va disparaître. [NDR : à l’aide de sa prescience digne de Muad’Dib, Antoine a devancé la question suivante.]

Quel est ton avis sur le livre numérique et quelles incidences penses-tu qu’il aura sur ton métier ?
Je ne vois pas trop l’intérêt du livre numérique ! Mais s’il prend trop d’importance, il faudra bien se mettre au goût du jour ! Mais je me dis aussi que le livre numérique n’a pas besoin des libraires pour être commercialisé… Quelle doit être la position des libraires ? Il faut voir l’évolution du livre numérique puisque pour l’instant rien n’est fait.

Maintenant, ton approche vis-à-vis des imprimantes qui permettent de sortir des livres à la demande et à l’unité ?
Ce n’est pas forcément une mauvaise chose. L’exemple d’Antoine est pertinent.
Eh bien, j’ai fait l’expérience puisque j’ai un bouquin, je suis édité par une petite maison d’édition, qui s’appelle les Mille Poètes. On passe justement par ce style d’imprimante puisque bien évidemment, comme ce ne sont pas des livres à fort tirage et qui ne passent pas par les circuits de librairie, uniquement à la demande, je pense que ça peut être quelque chose de très intéressant, de très utile. Attention par contre, parce que beaucoup de gens ont peut-être envie de prendre des emprunts, de vouloir absolument être édité – puisqu’ils ont été refusés par d’autres éditeurs. C’est Bernard Werber qui disait : « Si vous êtes refusé par de nombreux éditeurs, ne vous posez pas la question de savoir pourquoi les éditeurs ne veulent pas de vous, mais posez-vous la question « Qu’est-ce que je peux améliorer dans mon travail ? ». » Je pense que les imprimeries à la demande peuvent être très utiles pour des questions de petit tirage, ou d’auteurs qui ont envie de faire quelque chose hors du circuit du livre, du circuit traditionnel, mais il faut faire attention à l’usage et pas croire que c’est parce qu’il y a les imprimeries à la demande que tout le monde va pouvoir devenir écrivain à succès.

Tu dois me conseiller trois ouvrages sur ton stand. N’importe lesquels, j’ai envie de découvrir des livres anciens, nouveaux…
Ma foi, mes coups de cœur seraient : Les Bêtises de Lapinou ; Le Petit Chaperon rouge ; les albums de Thomas Scotto, particulièrement Les Gens d’autour du feu.
Celui-là, très classique, c’est L’Art de la guerre, de Sun Tzu, un manuscrit qui a été écrit au Vº siècle avant J. C. Il se trouve que ce manuscrit a été utilisé jusqu’à aujourd’hui puisqu’il est encore enseigné dans les écoles militaires. C’est un livre qui traite du fait que dans la bataille, ce qui est important ce n’est pas forcément le nombre de personnes qui est en présence mais la stratégie. Les joueurs de jeu de stratégie sur Internet s’en servent également ; c’est une bonne référence, il se lit assez facilement et il est très intéressant.
En deuxième je conseille La Triste Fin du petit enfant huître et autres histoires, de Tim Burton chez 10/18. On connaît beaucoup le Burton cinéaste, avec son univers à lui ; il est également poète, et 10/18 a eu la bonne idée d’éditer en français son recueil avec les illustrations de Tim Burton, et surtout, la traduction en français avec la version originale, car beaucoup trouvent la traduction calamiteuse. En fait, ils ont vraiment essayé de garder les rimes au maximum, mais en perdant un peu de la musicalité du propos, ce qui est dommage. Mais je le conseille vraiment, même pour ceux qui n’aiment pas forcément Burton en tant que cinéaste, ils pourront découvrir un Burton très poète, très bon.
En troisième, que j’ai commencé mais que je n’ai malheureusement pas pu encore finir, le livre s’appelle L’Interprétation des meurtres de Jed Rubenfeld, chez Pocket. Ce n’est pas un hasard s’il y a un jeu de mots avec L’interprétation des rêves puisque c’est Freud qui vient à New York, avec deux de ses disciples, pour enquêter sur un meurtre avec sa méthode d’interprétation des rêves. C’est vraiment une enquête policière dont Freud est le personnage principal ; c’est très intelligent, très intéressant de le voir d’une manière qu’on n’attendait pas. Bien sûr, c’est romancé, mais il y a des éléments historiques de la psychanalyse qui sont repris.

Dernière question : si tu voyais un de tes auteurs préférés (d’abord, lequel ? Même décédé), que lui demanderais-tu ?
Ma principale question serait « Pourquoi a-t-il décidé d’écrire pour la jeunesse ? » Je lui demanderais aussi sa perception de la chaîne du livre. Pour ce qui est des auteurs (j’en prendrais deux), le premier serait Claude Ponti ; son univers est très original même s’il ne conviendrait pas à tout le monde. Puis Pierre Cornuel, plus classique (si on le compare à Ponti !), mais qui produit des illustrations magnifiques, avec un graphisme malicieusement fouillé. Il a d’ailleurs un personnage récurrent, un petit rat appelé Désiré Raton. Cependant, Pierre Cornuel, je l’ai déjà rencontré.
Un autographe ! De David Eddings, qui a écrit La Belgariade et La Mallorée, que j’aime particulièrement. C’est la saga que je lis toujours, que j’admire au plus haut point. Évidemment, sans sa femme, il n’aurait pas pu écrire les personnages féminins de ses romans.
En deuxième, Douglas Adams (qui est mort lui aussi), qui a écrit la première trilogie en cinq volumes (dont Le Guide du voyageur galactique). C’est de l’humour anglais mâtiné de fantasy. [NDR : ces deux auteurs sont décédés.]

Quelque chose à ajouter ?
Vive la librairie !
Prenez soin du rock’n roll.

Merci à vous deux !

Yohann, AS Bib

La collection Continents noirs

17h au TNBA, samedi 10 avril. Marie N’Diaye et Véronique Ovaldé viennent de quitter la salle Jean Vauthier. On attend à présent de faire connaissance avec la collection « Continents Noirs », fondée il y a dix ans par Jean Noël Schifano, chez Gallimard. Spécialisée en littérature africaine, celle-ci présente une forte identité visuelle : sur toutes les couvertures, un fond jaune clair s’orne d’un fragment de latérite sur lequel se détache le nom de l’auteur et le titre. Mais ces fragments ne se ressemblent jamais ; car, comme le dit Jean-Noël Schifano, si « Continents Noirs » est au pluriel, c’est parce que chaque écrivain est un continent.
La ligne éditoriale ne manque pas non plus de personnalité : on ne peut pas être artiste écrivain si on ne vit pas la malédiction identitaire, soutient Jean-Noël Schifano ; sublimée par l’art, la malédiction se change alors en bénédiction. Ces artistes, dont quatre sont présents, semblent en général confirmer ce point de vue, tout en affirmant chacun un univers différent.
Koffi Kwahulé, qui était dramaturge avant de se consacrer au roman, nous offre avec M. Ki un texte très drôle et fait pour être lu à voix haute, comme le prouve la réaction de la salle lors de la lecture d’un passage.
Fabienne Kanor, qui, elle, est aussi réalisatrice de cinéma, aime que ses textes s’incarnent, que ses mots fassent sens mais aussi chair. Sa brillante lecture d’un extrait de son œuvre laisse entrevoir la thématique qui l’habite : le phénomène de l’aliénation culturelle.
Théo Ananissoh est un auteur emblématique du polar togolais. Son écriture limpide – comme la qualifie Jean-Noël Schifano – et son choix d’un roman hybride, à mi-chemin du classique et du policier, sont le biais par lequel il traite de questions universelles, telles que les arcanes qui régissent le monde du pouvoir.
Scholastique Mukasonga, ayant échappé au génocide rwandais, s’érige en gardienne de la mémoire de toute sa famille disparue. Son œuvre, poignante, est hantée par la faim, la faim de tout, aussi bien physique que spirituelle.
La plongée dans ces quatre univers est fascinante et – si l’on excepte un échange de propos un peu vifs entre un membre du public et Jean-Noël Schifano à la fin de la séance – l’alchimie avec la salle semble se créer spontanément.

Pour en savoir plus, consulter la rubrique Continents Noirs sur le site des éditions Gallimard :
http://www.gallimard.fr/catalog/html/actu/index/index_continentsnoirs.html

Bibliographies

Koffi Kwahulé
Babyface, 2006
M. Ki : rhapsodie parisienne à sourire pour caresser le temps, 2010

Fabienne Kanor

D’eaux douces, 2004
Humus, 2006
Les chiens ne font pas des chats, 2008
Anticorps, 2010

Théo Ananissoh
Lisahohé, 2005
Un reptile par habitant, 2007
Ténèbres à midi, 2010

Scholastique Mukasonga

Inyenzi ou Les Cafards, 2006
La Femme aux pieds nus, 2008
L’Iguifou : nouvelles rwandaises, 2008

Émilie, AS Bib

Carte blanche aux éditions Sabine Wespieser

Dimanche 11 avril, 16h30, Tn’BAR

Pour Sabine Wespieser « éditer un livre est avant tout un exercice d’admiration ».

Après trois années de service à l’Éducation nationale elle entre chez Actes Sud pour 13 ans. Elle y a monté la collection de poche Babel. Puis elle a dirigé la collection Librio chez Flammarion pendant un an..

Mais, pour bien exercer son rôle d’éditeur, un « rôle de découvreur et de passeur », elle rêvait d’indépendance, éditoriale et financière. En 2001 elle fonde donc la maison d’édition qui porte son nom.

Cette petite maison publie une dizaine de titres par an. Et son catalogue réunit aujourd’hui 90 titres et 45 auteurs.

Ce grand débat animé par Olivier Mony, critique littéraire à Sud Ouest Dimanche et au Figaro magazine, réunissait autour de l’éditrice plusieurs de ses auteurs : Michèle Lesbre, Annelise Roux, Sébastien Lapaque et Alain Gheerbrant.

Selon Olivier Mony, les livres édités par Sabine Wespieser sont « les plus jolis livres de l’édition française » et, s’ils rétablissent notre rapport érotique au papier, « l’intendance suit » également.

Le catalogue de Sabine Wespieser présente une « très grande diversité dans une très grande rareté » et ses différents titres n’ont d’autre dénominateur commun que d’être d’« authentiques propositions littéraires. »

Sabine Wespieser, après avoir évoqué son amour de la lecture qui a guidé son parcours lors de ses études, puis en tant qu’enseignante, nous dit s’être rendue compte que l’édition était le « laboratoire le plus proche de la littérature contemporaine ». Elle ne connaissait rien de ce métier mais son stage chez Actes Sud lui en révèle les coulisses : un métier de communication, de transmission de passion, d’enthousiasmes, de goûts.

C’est chez Actes Sud qu’elle rencontre certains des auteurs présents à cette Carte blanche. Si elle décide de quitter la maison arlésienne en pleine croissance après treize années de bons et loyaux services, c’est qu’elle a eu peur de la perte de contact avec la lecture et de devoir renoncer à l’accompagnement des auteurs.

Pour exercer ce métier de façon artisanale, il fallait se « payer le luxe » d’avoir sa maison. Cependant, pour gagner en expérience elle prend, pour un an, la direction de la collection Librio, aux antipodes de ce qu’elle fait maintenant. Pour Sabine Wespieser, éditer c’est « créer un laboratoire, capter la création là où elle se trouve et la passer au public le plus large possible. » Mais aussi « donner aux écrivains un lien cohérent où le son de leur œuvre puisse être amplifié. »

Dès 2002, date de sa première publication, elle a la volonté de marquer une cohérence, une unité par la forme car « la forme produit du sens ». Elle se place ainsi, avec ce clin d’œil aux couvertures de la Collection blanche de Gallimard ou à l’étoile bleue de Minuit, dans la belle tradition de l’édition française.

Les auteurs présents, et Annelise Roux au premier chef, insiste sur le fait que Sabine Wespieser est un éditeur qui lit ! Et, en rejoignant cette petite maison, elle a voulu rompre avec une grande maison qui, comme toutes les grandes maisons, fait sentir à ses auteurs qu’ils sont censés être honorés d’être publiés par eux. Et Sabine Wespieser de répondre que les éditeurs ne seraient pas là sans les auteurs, qu’il n’y aurait pas de chaîne du livre sans les auteurs.

Elle a choisi de ne publier que des textes dont elle est totalement convaincue et de s’engager sur toute l’œuvre des auteurs qu’elle accueille. C’est pour cette raison aussi qu’elle ne souhaite pas publier davantage de titres par an. Pour elle, « éditer c’est cheminer ensemble vers une forme d’exigence ». La confiance se construit sur le temps, mais cela va à l’encontre de la société qui veut une rentabilité immédiate. Pour elle, « l’édition c’est le temps ».

Lorsqu’Olivier Mony l’interroge sur son catalogue qui réunit littérature française et littérature étrangère elle répond simplement qu’il s’agit de la continuité de son habitus de lectrice et que les langues et les imaginaires différents sont enrichissants pour un catalogue. Sa seule restriction réside dans sa volonté de ne publier que ce qu’elle lit : donc des textes écrits en anglais, en allemand, ou déjà traduits dans l’une de ces langues.

Elle ne recherche pas de cohérence dans son catalogue, le choix d’un manuscrit est intuitif, elle recherche le son juste, c’est-à-dire l’émotion, elle ne cherche pas la virtuosité. Mais un texte c’est aussi une langue, elle est convaincue par une écriture et, au grand désarroi de certains personnes du public, elle dit ne jamais accepter de manuscrits avec de bonnes histoires mal écrites, ainsi elle ne retravaille jamais, ou très peu, un texte avec son auteur.

Le lien entre l’éditrice et ses auteurs est fort et même Alain Gheerbrant, qui a été éditeur lui-même après guerre, et qu’elle considère comme son maître, parle d’elle en disant « notre Sabine ».

Sébastien Laplaque résume simplement cette relation auteur / éditeur en disant que Sabine sait être à la fois éditeur et PDG, qu’elle est le contraire de ces dirigeants de grandes maisons d’édition où règne l’idéologie manageriale et qui sont diplômés d’écoles de commerce plutôt que de Normale Sup. D’où une certaine asphyxie des auteurs selon lui, que Sabine Wespieser guérit en soignant « la mégalomanie paranoïaque de ses auteurs ».

Ce qui explique sans doute qu’à présent, aucun de ses 45 auteurs n’est allé voir ailleurs si l’herbe y est plus verte.

Delphine et Barbara, AS Bib.

Intermède rock n’roll

La salle se remplit d’un public familial, du nourrisson aux grands-parents, en passant par le jeune lambda. Jean-Michel Espitallier s’installe à la batterie. Il est suivi de près par ses deux acolytes guitaristes, Florent Nicolas et Laurent Prexl. La lumière s’éteint, le public attend tranquillement que le spectacle débute. « 3, 2, 1… Wriing Yeaaah Rwahhhhh » c’est une véritable bourrasque qui envahit la salle et s’infiltre dans les oreilles sensibles des spectateurs. Une dame d’un certain âge se lève aussitôt et entraîne son mari vers la sortie. Son initiative donnera des ailes à une dizaine d’autres personnes qui profiteront du mouvement pour fuir le son rythmé et bruyant qui s’échappe des instruments.

Ceux qui osèrent rester en prirent plein les oreilles ! Michel Espitallier détonne par la maîtrise de son instrument et la vivacité avec laquelle il en use. Florent Nicolas s’illustre davantage par sa discrétion. Quant à Laurent Prexl, il est l’essence pure du rocker : déjanté, hurlant, crachant, amateur de larsens. Son jeu de jambes, sa voie profonde et sa chemise folk en font une espèce de réincarnation d’Elvis.

Une expérience secouante, très appréciable par la diversité qu’elle apporte à l’évènement littéraire tel que l’Escale du livre. Les Prexleys ont surpris mon dimanche, grand bien leur fasse !

Rachel

Hervé Guibert lu par Malik Zidi

Lecture : À l’endroit du cœur
20h30, TnBA Atelier

Montage de textes d’Hervé Guibert lus par Malik Zidi.

J’ai fait fi du conseil donné sur le programme de l’Escale : « Cette lecture s’adresse à un public averti ». Je l’avoue j’étais bien loin de l’être, mais je me félicite d’avoir désobéi et bravé cette mise en garde décourageante et aussi supporté le grand inconfort de la salle. Mais passons ces détails futiles et revivons cette lecture.

L’obscurité, presque le noir absolu. Un rond de lumière et au centre une chaise haute, un pupitre, et un micro. Le reste n’est qu’ombre. Du public enténébré sort un homme : la trentaine, vêtu de beige, la pâleur de son visage accentuée par le roux de ses cheveux et de sa courte barbe. Il monte sur scène, entre dans ce halo de lumière jaunâtre qui le rend terreux, ôte sa veste qu’il pose sur le dossier de la chaise, et s’assoit. Une musique orientale retentit lorsqu’il commence à parler : trop forte, paraissant même incongrue car j’aurais voulu saisir les premiers instants de sa voix. Enfin elle se tait, et je l’entends : un timbre apaisant mais aussi le sentiment d’une volonté féroce de donner du sens et du poids aux mots. Ceux-ci sont crus, poignants, déchirants.

Il fallait toute la douceur et la fragilité de la voix de Malik Zidi, mais aussi la puissance de sa détermination d’acteur pour exprimer la faiblesse d’une enveloppe charnelle trop insuffisante pour contenir les pensées, les sentiments d’un homme. C’est l’impression que m’ont laissée les textes d’Hervé Guibert : un amour, une vivacité d’esprit, une intelligence emprisonnés dans un corps malingre. Et pourtant ce corps, considéré dans sa matérialité la plus brutale, est le premier filtre de son ressenti du monde.

Je ne sais si je ce que je pense est juste, n’étant pas de ce « public averti » dont parle l’Escale. Je n’écris simplement que ce que j’ai ressenti. À l’endroit du cœur est certainement là où cette lecture m’a touchée. Vendredi soir, c’est assurément au TnBA Atelier qu’il fallait être si l’on voulait de l’émotion.

Christelle Fontaine

Alexandre Jardin

Biographie d’Alexandre Jardin

Alexandre Jardin suit les traces de son père, disparu en 1980, en se lançant dans l’écriture après avoir obtenu son diplôme de Sciences Politiques. C’est d’ailleurs pendant ses études qu’il écrit son premier roman ‘Bille en tête’ pour lequel il reçoit le prix du Premier Roman en 1986. Ensuite, il publie ‘Le Zèbre’ (Prix Femina 1988) et ‘Fanfan’ qu’il adapte lui-même à l’écran. Ses romans parlent d’amour, de comment le faire renaître ou de l’envie de le rendre éternel. A côté de ses occupations littéraires et cinématographiques, il est aussi journaliste et écrit ainsi des chroniques pour Le Figaro. Alexandre Jardin s’essaie à la littérature jeunesse avec ‘Cybermaman’. En 1997, il écrit le ‘Zubial’, roman autobiographique sur son père, l’écrivain Pascal Jardin qui en fit de même en écrivant ‘Le Nain jaune’. D’autres films et livres suivent ces oeuvres qui recèlent une certaine joie de vivre. En 2004, Alexandre Jardin publie deux versions du même roman, ‘Les Coloriés’, l’un destiné aux adultes, l’autre aux enfants et livre ‘Le Roman des Jardin’ l’année suivante. Extrêmement impliqué dans l’évolution politique de son pays, il profite de sa notoriété pour lancer, lors des élections présidentielles de 2007, un site internet qui appelle les candidats à expliquer clairement leur programme. Cinéma, littérature, journalisme et politique font d’Alexandre Jardin un littéraire sans frontière de genre.

(source)

Continents noirs fête ses dix ans

Jean-Noël Schifano, directeur de la collection, sera présent à l’Escale pour fêter cet anniversaire, accompagné de cinq de ses auteurs.

Voilà déjà dix ans que la collection de Gallimard dédiée aux écritures noires a été créée. Née d’une discussion entre Antoine Gallimard et Jean-Noël Schifano pendant un voyage au Gabon, elle fut fondée dans le but de donner plus de visibilité aux littératures d’Afrique, de la Caraïbe et de la diaspora. Passeur de leur diversité et de leur vitalité, Continents Noirs a souhaité valoriser ces écrits trop souvent méconnus voire méprisés, en publiant des écrivains reconnus comme de nouveaux talents.

Au-delà du lien avec l’Afrique, l’unité de la collection réside dans ce qui anime ses 35 auteurs : le désir voire la nécessité d’écrire, pour conter, témoigner, dire les douleurs du passé, les mal-être du présent, les interrogations que suscite l’avenir. L’exigence littéraire, associée à une forte identité visuelle – une poignée de latérite, terre des régions du Sud, sur la première de couverture – a fait la réputation de la collection.

Les succès ont été nombreux, portés par des noms comme Mongo Béti, Ananda Devi, Abdourahman Waberi ou encore Sami Tchak. Ils ont aussi pris forme à travers différents ouvrages, tels Les Rochers de Poudre d’or de Natacha Appanah, aujourd’hui édité en Folio, ou Le génocide voilé de Tidiane Ndiaye, essai vendu à 17 000 exemplaires.

Et Continents noirs ne compte pas s’arrêter en si bon chemin : la collection pourrait s’ouvrir à d’autres sphères linguistiques, notamment anglophone, lusophone et italophone. Des littératures tout aussi riches, mais dont les traductions demeurent peu nombreuses en raison des impératifs budgétaires.

A l’Escale du livre, Jean-Noël Schifano fêtera cet anniversaire avec cinq auteurs publiant un ouvrage en ce début d’année 2010 : Théo Ananissoh (Ténèbres à midi), Libar M. Fofana (Le diable dévot), Fabienne Kanor (Anticorps), Koffi Kwahulé (Monsieur Ki) et Scholastique Mukasonga (L’Iguifou). Des romans et un recueil de nouvelles que le directeur de collection nous promet « très forts sur le plan de l’expression et de la nervosité ».

Je suis pour tout ce qui aide à traverser la nuit, Fabio Viscogliosi

Publié chez Stock le 13 janvier 2010, ce premier roman sera la torche qui vous éclairera pour traverser la vie. Cet auto-portrait dans lequel chacun peut se reconnaître, accumule les instants clefs d’une existence et ceux  qu’on oublie, les souvenirs heureux et les autres, les anecdotes humoristiques ou mélancoliques du narrateur et de ses idoles, les questionnements de tous hommes et les voyages entre passé, présent et avenir. Viscogliosi nous entraîne dans un monde fragmenté en 154 chapitres sous autant de titres originaux tels que “Les lasagnes” ou “les cols en V”. Le quotidien, et surtout, le quotidien avec et sans son père italien.

Flora