Rue Ronsard

Une travée aux pigments ternes et tristes,

Transpercée par des trous et des crevasses bétonnés.

Un sentier de guerre où gisent les corps désabusés de frêles ados sans espoirs.

Des jeunes meurtris et tourmentés,

Comme cette longue trainée de goudron qui traverse Talence,

Jusqu’au sinistre arrêt de Tram, Doyen Brus.

Une porte vers la Liberté.

Adossés à cette route infernale,

D’affreux bâtiments métalliques,

Vantent les funestes mérites

D’un monde d’argent, de sciences et de profit.

Derrière ces grilles, des silhouettes en costumes,

Luttent contre la Roue du Temps.

Etriqués dans leurs tenues, ces pantins cadavériques,

Courent pour rattraper la vie.

Quelquefois, ces ombres endimanchées toisent avec stupeur,

D’étranges piétons montés sur des machines.

Des adultes aux membres mutilés,

Que le monde a jadis abimés.

Avançant prudemment sur cette voie escarpée,

Les passants en fauteuil roulent pour fuir la morosité.

Une cigarette glissée entre les lèvres, ils tentent de s’évader.

Hélas le voyage reste de courte durée,

Et la réalité reprend ses droits,

Une fois le soir tombé.

Parfois lorsque je remonte cette rue,

Je me dis que c’est la peine qui hante ces pavés.

Des larmes de bitume qui coulent sur les trottoirs,

Et ruissèlent sur les graviers.

Rue des Faures

S’accélère le mouvement des jambes. La femme pénètre la rue. Trois fois elle y enfonce son corps. La rue des Faures. Trois fois il verra.

*

5° C. 8 heures le matin. Le Bazar d’Istanbul, 2 rue des Faures, ouvre.


Mains. Une manche. Deux. Ça va vite. Pressée ce matin. Heurtent les corps.
Prennent appui sur les poteaux. Puis rentrées dans les poches. Fin de la rue.

Yeux. Marchands de fruits déplient boutique. Détritus de légumes sur le trottoir.
Pigeons déjà réveillés. Couleurs pas encore prononcées. Homme cagoulé passe à vélo. Larmes. Le froid opère. Quittent la rue.

Oreilles. Bing. La cloche de Saint Michel crache son huit-heures. Entendent le sifflement des roues des vélos pressés. Grattement du balai sur le trottoir devant la boutique. Moteurs qui ronronnent. Écho des musiques électriques des casques audio. Un sifflement dragueur matinal. Les talons claquent. La rue des Faures commence sa symphonie pastorale.

Langue. Goût du sommeil dans la bouche.
Rien à dire encore.

Nez. Sucré. Poivré. Dépassé de mode. Tourné. Imposant. Excitant.

8 heures rue des Faures : les parfums de femmes s’exhibent.

Quant aux mâles, les odeurs de fauves sont masquées au savon. Ou mieux encore : eau de Cologne.

*

10° C. 12h00. Le Bazar d’Istanbul fait son chiffre d’affaire.


Mains. Bousculent encore les étrangers.
Capture un ballot de menthe fraîche.

Yeux. Foule maintenant. Couleurs vives. Bouillonnement. Vieux turc à canne, veste taillée, toque matelassée. Blanc du tablier du boucher halal.
Jeune extravertie au blouson léopard. Les visages défilent. Et les yeux de la femme tournent les pages. Combien de ces silhouettes se savent inscrits dans l’épopée rue des Faures ?
Évitent les vélos. Suivent un homme à la beauté grecque. L’Arabe guette l’entrée de sa caverne. Théières en acier reflètent le soleil prétentieux.

Oreilles. La cloche balance du sacré à tout va dans la rue. Se heurtent aux langues inconnues. L’excitent. Cacophonie complète. Jeunes filles rigolent. Échos du marché.
Tambours arabes et muezzins veulent leur place sur la portée. Bataille incongrue : ding ding des sonnettes deux roues contre les tut tut des quatre roues. Rythmes fous.

Langue. Morceaux de pains turcs engloutis. Le goût du frais qui s’éternise dans la bouche.

Nez. Le linge vente son odeur de propreté en sortant de la laverie.
Les poulets contre-attaquent. Car peaux grillées et cuisses huilées. Exhibition totale.
Ah ! Embrasement d’une gitane. Reconnaissable entre toutes. Et puis l’odeur de la coriandre, du vieux tissu, de l’antimite, des bazars turcs. Le nez savoure et s’en va.

*

15° C. 19h30. Le Bazar d’Istanbul remballe ses cagettes vides.


Mains. Prennent le temps de sentir la rue.

Yeux. Voient les couleurs s’estomper. La rue reprend son territoire. Laisse place à une autre forme d’occupation : la nuit.

Oreilles. Fin de la partition. Lointains échos des ballons de Basket. Quelques voix encore. Grincement des grilles qu’on tire.

*

Langue et nez ne ressentent plus rien ici.
On plie boutique. On rentre chez soi. Le silence s’installe.

La femme soudain se remémore les langues inconnues. Et puis quitte la rue.

Silencieusement vôtre.

Par Sara Ghazali, et Eloi Morterol.

Ça commença aux environs de trois heures et demie par un léger gratouillis aux fenêtres, deux mois auparavant. Nous habitions en ce temps-là au dernier étage de l’immeuble. Au 24ème très exactement. Le plus agréable selon le propriétaire. Parlons-en ! Il était bien situé sans aucun doute… entre deux nuages… et un cauchemar. Mais laissez-moi vous le décrire. Par où commencer ? Charles l’avait choisi pour le pot de fleurs situé sur le rebord de la fenêtre au quatrième. Raison que j’avais trouvée tout à fait suffisante pour notre installation 17 étages plus haut. Évidemment, nous avions cordialement détesté la gentille mère de famille qui possédait ce pot-là, et qui n’avait  pas voulu nous le céder. Autour du pot de fleurs, une fenêtre. Comme la nôtre. Autour de la fenêtre, un ravissant bâtiment datant du début du XIXème. Sans doute bâti par un illustre architecte aussi inconnu que talentueux. Les briques rouges, délavées par les pluies fréquentes dans ce quartier, donnaient à la demeure la couleur du coucher de soleil que j’admirais lorsqu’enfant mes parents nous emmenaient dans les dunes proches de l’océan. Cette teinte rappelait à Charles la couleur des joues de sa mère mourante.

Au rez-de-chaussée vivait… le Concierge. Aussi vieux que la bâtisse. Quoique plus croulant qu’elle. Il habitait dans une unique pièce qu’il laissait ouverte à tous les vents, et à tout habitant. Etaient rangés là les parapluies de chaque appartement, la radio qui diffusait constamment un vieux blues, un lit, un livre, un four, et le vieil homme. L’escalier en pierres noirâtres, polies par le temps et les fréquentes allées et venues des habitants, montait jusqu’au 20ème. Pour atteindre les étages supérieurs, il fallait emprunter l’escalier des bonnes, nettement moins majestueux, mais bien plus charmant. De fond en comble vivaient pèle mêle et indifféremment le Concierge, la mère de famille et ses charmantes têtes blondes, un scientifique à moitié fou, Jojo, Gervaise la vieille fille du 45, un jeune hippie qui s’était autoproclamé artiste, un aristocrate, et tant d’autres qu’on ne voyait jamais… Sans nous compter évidemment.

Le gratouillis persistait. Deux mois que nous l’entendions tous les jours. À la même heure. Ma théorie la plus logique reposait sur le fait qu’un écureuil ponctuel puisse nous harceler pour des raisons obscures. L’explosion de rire que mon idée reçut alors que je l’exposais à Charles l’avait à jamais détruite. « Espèce de bouquiniste sceptique ! » avais-je osé lui répondre avec hauteur. Ses livres… voilà bien tout ce qui l’intéressait. Toujours est-il que le bruit nous poursuivait de son ire, il nous réveillait toutes les nuits. Je peux vous l’avouer, j’ai commencé une enquête, il y a déjà une semaine, et aujourd’hui je l’attendais! Charles m’aidait comme il pouvait. Cela dit sans lui je ne serais sans doute pas en train de l’attraper… ce bruit. Je lui avais demandé comment récupérer des informations sur la création de l’immeuble, et la seule chose qu’il avait trouvée à me répondre fut que je ferais bien de m’intéresser à la seule chose vivante ici…

-Essayons la Radio ! Avais-je conclu. Visiblement il s’attendait à autre chose.

J’étais descendu en hâte dans l’appartement du bas, il y avait une tarte et un soufflé dans le four qui brulaient en grand concert, et aussi bizarre que cela puisse paraître, la radio était éteinte. Totalement loufoque, jamais elle ne s’éteignait! J’essayais de tourner les quelconques boutons afin de la ramener à la vie, mais rien n’y fit. Elle refusait de m’obéir. Le vieux surgit de derrière les parapluies. Il jeta un regard apeuré vers l’objet éteint, et sortit comme s’il avait le diable au cul. Tout allait de travers ce jour-là, il n’avait pas pris son parapluie. Il savait pourtant que l’intempérie du soir avait été avancée vers le milieu d’après midi suite à la discussion entre les associations : « les amis du quartier » et « un quartier d’amis ». Étrange après-midi vraiment. Soudain le lit grinça. Je ne sais pas vraiment pourquoi, mais ce bruit m’atteignit en pleine face. Un bruit violent, plein d’une méchanceté souveraine, d’une haine du silence si profonde que j’en fus choquée. Je remontais en courant les 24 étages, et trouvais Charles dans son monde de mots et de phrases silencieux. L’évidence m’apparut lorsque j’entendis toutes les portes de l’immeuble s’ouvrir en même temps, les pinceaux du hippie s’agiter, la guitare de Jojo jouer, la télévision de la vieille jacasser, la domestique de Monsieur le Marquis  rouspéter, les expériences du scientifique exploser…  J’entendis même la fleur de la mère de famille en train de pousser. Notre maison était infestée de bruits! Je fermais la porte, fit un signe discret à Charles et lui donnais les conclusions de l’enquête. Le silence subissait les assauts de ses éternels ennemis qui aiment tant se glisser dans la plus anodine des choses… l’homme. La bâtisse subissait une attaque en règle depuis trois mois, et se voyant découverts, les assaillants lançaient la dernière offensive. C’est là que j’entendis notre bruit, celui qui se chargeait de notre silence, celui dont la mission nous concernait. Il se propageait doucement, mais de façon insidieuse par l’escalier transmettant les instructions aux autres. Charles et moi-même étions responsables du silence de la maison…

Aujourd’hui je suis prête, après une semaine de travail acharné, Charles, ses livres, et moi-même avions trouvé la solution. Le moyen inventé, il ne restait plus qu’à l’utiliser. Le général ennemi sentant l’atmosphère silencieuse de la pièce dut comprendre combien le son de ce moment allait déterminer l’issue de cette guerre. Il jeta ses dernières forces dans la bataille. La pluie se mit à tomber drue, claquant contre les vitres, lançant des milliers de piques, perçantes, hurlantes. Les volets claquèrent sous l’effet du brusque vent. Ce fut lorsque le pot de fleurs chut que je lançais la contre-attaque. Je tournais lentement autour de cet étrange grattement, et lui imposais le silence d’un regard, pour cela il suffisait d’une chose… d’une phrase. C’est tout naturellement Charles qui m’avait donné une fois de plus la solution. Je n’eus besoin de dire qu’une phrase. Une seule.

«On fait beaucoup de bruit pour obtenir le silence »

Désarçonné par cette simple réalité des choses, le bruit chut une première fois. Comment? Pourquoi, lui, ne voudrait-il qu’une chose? Celle-là même qu’il hait le plus? Je sentis qu’il se fermait à toute réflexion et donnait le coup de grâce.

« Beaucoup de bruit pour rien », mon cher… car « le silence est l’interprète le plus éloquent de la joie». Élevez-vous l’esprit. Devenez humain et pourquoi pas… divin? J’ai une solution à vous proposer, le silence est un monde que rien ni personne n’empêchera de vivre, il est. L’homme sans silence n’est rien, vous les bruits vous n’êtes bruits que par le silence, le silence à nos oreilles vous fait vivre. Qui nous donnera l’ouïe si vous le submergez? Devenez intelligent.

Le gratouillis m’écouta. Et lorsqu’un bruit écoute, le monde se tait.

Le concierge tourna le bouton et le concerto pour piano nº 01 en Fa majeur se fit entendre dans la vieille maison. Le bruit avait appris à penser. Les Fragments de culture de mon cher Charles avaient fait des merveilles. Je décidais de me lancer dans la lecture des Misérables.

Mises à jour !

Le préprogramme évolue, et nous vous tenons évidemment au courant !

Les principaux changements concernent les horaires de diverses animations en Lectures/performances, Grands débats, les Cafés littéraires. Il y a également quelques précisions pour les auteurs présents au Forum des livres, lors des Soirées et une précision ajoutée sur la page Kiosque.

Ensuite, vous noterez le nouvel habillage plus clair et plus aéré du blog, pour une meilleure lisibilité de celui-ci.

Enfin, sur le côté et en haut du blog, la création d’une page qui regroupe l’ensemble du préprogramme de l’Escale 2010, et une autre page recensant les auteurs et intervenants de la manifestation.

Excellente visite !