A&A : interviews croisées

Angélique et Antoine sont tous les deux étudiants en Année spéciale d’Édition/librairie. Ils ont pris à la rigolade le fait que je veuille les interviewer dans le cadre d’un article à déposer sur Oulibo… mais le lendemain, lorsque je me suis pointé avec mon dictaphone et mes questions, d’aucuns ont moins fait les malins (héhé). Voilà le résultat.

Angélique/Antoine, bonjour.
Bonjour !

On sait par définition que tu aimes le livre. Du coup, quel est ton parcours ? Qu’est-ce qui t’as amené à vouloir devenir libraire ?
Angélique : Mes études se résument à un Master I en Lettres Modernes, puis j’ai tenté le CAPES, avec une année de préparation en amont. Mais ça n’a pas marché comme je le voulais… Je n’ai pas retenté le concours. Ensuite j’ai travaillé plus d’un an et demi dans un Cultura. C’est pourquoi je pense que lors de l’entretien d’entrée pour l’AS Éd-Lib, j’avais déjà un projet mûrement réfléchi en tête. J’avais notamment affirmé que pour ma part l’adéquation commerce et culture m’est importante.
Antoine : Ohla ! Eh bien je suis né en 1988 à Moulins-sur-Allier, petite bourgade tranquille d’Auvergne. Je suis arrivé à Bordeaux lors de mon année de Première où j’ai fait un bac ES, et pas un bac littéraire comme beaucoup. Et je me suis dirigé vers trois ans d’Histoire à la Faculté de Bordeaux parce que c’est ce qui me branchait le plus. Ayant eu ma Licence j’ai cherché à faire quelque chose qui me plaisait aussi et j’hésitais entre journalisme et libraire, et le sort a décidé pour moi puisque je me suis loupé au concours de journalisme et j’ai réussi le concours de libraire. C’est pour ça que je suis à l’IUT, car le livre me fascine.
Et libraire plus spécifiquement alors ?
Oui, parce que je ne pense pas avoir les capacités nécessaires pour gérer quelque chose en édition, tout ce qui est recherche, tout ce qui est façonnage d’ouvrage… Je laisse ça à des gens plus professionnels. Je préfère vendre la production et non pas la faire.

D’accord. Quelles sont les différences que tu ressens entre travailler en librairie et travailler sur un stand ?
Travailler sur un stand, ç’a tout du bon côté du métier. On rencontre des auteurs, des gens de tous horizons, l’ambiance est festive… Mais le métier de librairie a aussi des inconvénients non visibles sur les salons, comme la gestion du stock.
Déjà on voit des auteurs, des gens connus…
C’est moins fréquent en librairie ?
C’est-à-dire que quand je prends le programme de Mollat, tu as beaucoup de personnes qui viennent, mais ce n’est pas tous les jours et ils ne sont pas dans le rayon, généralement. Alors que là, justement, il y a beaucoup d’auteurs qui viennent signer en un temps très court. Ce que l’on peut voir d’autre en différence c’est qu’il y a moins de conseils clients que lorsque l’on est en librairie ; là les gens furètent directement, savent à peu près où se trouvent les livres, savent ce qu’ils veulent et viennent juste pour encaisser.

Et pourquoi as-tu choisi le secteur jeunesse/adultes ?
En librairie, jeunesse précisément, j’ai l’impression que le jeune public est plus « ouvert » aux conseils, que son goût est plus aiguisé en ce qui concerne les albums jeunesse. Et puis voir déambuler les tout-petits entre les rayons… J’aime bien.
C’est un coup de bol ! Au début je devais travailler sur le stand de l’Entre-Deux-Noirs, la librairie de Christophe Dupuis, mais malheureusement je n’ai pas pu y travailler parce que l’équipe était déjà au complet, ça ne l’intéressait pas d’avoir quelqu’un en plus. Donc j’ai été pris par Virgin qui eux avait besoin d’un peu plus de monde et il se trouvait qu’il restait de la place en littérature générale, ce qui me tentait bien, vu que je sors d’un mois de stage en librairie section jeunesse.

Comment vois-tu l’avenir du métier de libraire ?
On aura toujours besoin des libraires ! Mais quand on voit que de plus en plus de librairies indépendantes ferment, c’est flippant. Au Royaume-Uni le climat est plus grave qu’en France, mais quand même…
L’avenir, il sera à mon avis qu’on sera toujours là, bien que beaucoup d’oiseaux de mauvais augures veulent nous enterrer directement, nous dire que de toute façon on va mourir, qu’on ne servira plus à rien avec l’arrivée du numérique. Moi je pense que le livre papier continuera à exister. Par exemple, quand tu vois un Citadelles & Mazenod énorme, qui coûte 150 euros mais avec une qualité exceptionnelle de papier, d’encre… tu essaies de trouver ça en numérique, ça ne donne rien. Les albums jeunesse, c’est pareil. Les deux mondes vont exister je pense, et ce n’est pas parce que le numérique va apporter beaucoup de chose que le papier, et la librairie à plus forte raison, va disparaître. [NDR : à l’aide de sa prescience digne de Muad’Dib, Antoine a devancé la question suivante.]

Quel est ton avis sur le livre numérique et quelles incidences penses-tu qu’il aura sur ton métier ?
Je ne vois pas trop l’intérêt du livre numérique ! Mais s’il prend trop d’importance, il faudra bien se mettre au goût du jour ! Mais je me dis aussi que le livre numérique n’a pas besoin des libraires pour être commercialisé… Quelle doit être la position des libraires ? Il faut voir l’évolution du livre numérique puisque pour l’instant rien n’est fait.

Maintenant, ton approche vis-à-vis des imprimantes qui permettent de sortir des livres à la demande et à l’unité ?
Ce n’est pas forcément une mauvaise chose. L’exemple d’Antoine est pertinent.
Eh bien, j’ai fait l’expérience puisque j’ai un bouquin, je suis édité par une petite maison d’édition, qui s’appelle les Mille Poètes. On passe justement par ce style d’imprimante puisque bien évidemment, comme ce ne sont pas des livres à fort tirage et qui ne passent pas par les circuits de librairie, uniquement à la demande, je pense que ça peut être quelque chose de très intéressant, de très utile. Attention par contre, parce que beaucoup de gens ont peut-être envie de prendre des emprunts, de vouloir absolument être édité – puisqu’ils ont été refusés par d’autres éditeurs. C’est Bernard Werber qui disait : « Si vous êtes refusé par de nombreux éditeurs, ne vous posez pas la question de savoir pourquoi les éditeurs ne veulent pas de vous, mais posez-vous la question « Qu’est-ce que je peux améliorer dans mon travail ? ». » Je pense que les imprimeries à la demande peuvent être très utiles pour des questions de petit tirage, ou d’auteurs qui ont envie de faire quelque chose hors du circuit du livre, du circuit traditionnel, mais il faut faire attention à l’usage et pas croire que c’est parce qu’il y a les imprimeries à la demande que tout le monde va pouvoir devenir écrivain à succès.

Tu dois me conseiller trois ouvrages sur ton stand. N’importe lesquels, j’ai envie de découvrir des livres anciens, nouveaux…
Ma foi, mes coups de cœur seraient : Les Bêtises de Lapinou ; Le Petit Chaperon rouge ; les albums de Thomas Scotto, particulièrement Les Gens d’autour du feu.
Celui-là, très classique, c’est L’Art de la guerre, de Sun Tzu, un manuscrit qui a été écrit au Vº siècle avant J. C. Il se trouve que ce manuscrit a été utilisé jusqu’à aujourd’hui puisqu’il est encore enseigné dans les écoles militaires. C’est un livre qui traite du fait que dans la bataille, ce qui est important ce n’est pas forcément le nombre de personnes qui est en présence mais la stratégie. Les joueurs de jeu de stratégie sur Internet s’en servent également ; c’est une bonne référence, il se lit assez facilement et il est très intéressant.
En deuxième je conseille La Triste Fin du petit enfant huître et autres histoires, de Tim Burton chez 10/18. On connaît beaucoup le Burton cinéaste, avec son univers à lui ; il est également poète, et 10/18 a eu la bonne idée d’éditer en français son recueil avec les illustrations de Tim Burton, et surtout, la traduction en français avec la version originale, car beaucoup trouvent la traduction calamiteuse. En fait, ils ont vraiment essayé de garder les rimes au maximum, mais en perdant un peu de la musicalité du propos, ce qui est dommage. Mais je le conseille vraiment, même pour ceux qui n’aiment pas forcément Burton en tant que cinéaste, ils pourront découvrir un Burton très poète, très bon.
En troisième, que j’ai commencé mais que je n’ai malheureusement pas pu encore finir, le livre s’appelle L’Interprétation des meurtres de Jed Rubenfeld, chez Pocket. Ce n’est pas un hasard s’il y a un jeu de mots avec L’interprétation des rêves puisque c’est Freud qui vient à New York, avec deux de ses disciples, pour enquêter sur un meurtre avec sa méthode d’interprétation des rêves. C’est vraiment une enquête policière dont Freud est le personnage principal ; c’est très intelligent, très intéressant de le voir d’une manière qu’on n’attendait pas. Bien sûr, c’est romancé, mais il y a des éléments historiques de la psychanalyse qui sont repris.

Dernière question : si tu voyais un de tes auteurs préférés (d’abord, lequel ? Même décédé), que lui demanderais-tu ?
Ma principale question serait « Pourquoi a-t-il décidé d’écrire pour la jeunesse ? » Je lui demanderais aussi sa perception de la chaîne du livre. Pour ce qui est des auteurs (j’en prendrais deux), le premier serait Claude Ponti ; son univers est très original même s’il ne conviendrait pas à tout le monde. Puis Pierre Cornuel, plus classique (si on le compare à Ponti !), mais qui produit des illustrations magnifiques, avec un graphisme malicieusement fouillé. Il a d’ailleurs un personnage récurrent, un petit rat appelé Désiré Raton. Cependant, Pierre Cornuel, je l’ai déjà rencontré.
Un autographe ! De David Eddings, qui a écrit La Belgariade et La Mallorée, que j’aime particulièrement. C’est la saga que je lis toujours, que j’admire au plus haut point. Évidemment, sans sa femme, il n’aurait pas pu écrire les personnages féminins de ses romans.
En deuxième, Douglas Adams (qui est mort lui aussi), qui a écrit la première trilogie en cinq volumes (dont Le Guide du voyageur galactique). C’est de l’humour anglais mâtiné de fantasy. [NDR : ces deux auteurs sont décédés.]

Quelque chose à ajouter ?
Vive la librairie !
Prenez soin du rock’n roll.

Merci à vous deux !

Yohann, AS Bib

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