Ça commença aux environs de trois heures et demie, par un léger gratouillis aux fenêtres. Cela continua, toute la nuit, sur les murs, le sol, les rideaux. Toute la maison se mit à se tortiller comme une enfant chatouilleuse, et au bruit d’un éclat de rire tonitruant, elle s’éveilla. La maison de ses rêves était comme celles que, petite, elle dessinait : avec des bras, des mains, des fenêtres-yeux et une porte-bouche. Un jour, elle a enlevé le voile devant ses yeux et a vu s’envoler le petit tas de cendres de son enfance par la fenêtre. Ensuite, elle a pleuré.
On pourrait énumérer : ses rêves oubliés qui servent de terreau fertile aux rêves prochains, annihilés par ce manque de force qui survient lorsqu’on est seul face à tout, sans personne pour nous encourager au départ et à l’arrivée. Ses mensonges qui peuplent une solitude qui croît à chaque instant, assez forte maintenant pour vaincre les crises, les moments de détresse erronés. Malgré tout, elle finit toujours par se relever, debout sur ses deux pieds, sans trop savoir comment. Ses choix insensés, cette rupture, les convictions qui nous ébranlent, la fatigue de ses nuits sans sommeil, à jouer les valseuses et les petites dormeuses.
Elle voudrait être une de ces écrivains à l’odeur des cigarettes consumées, aux tasses de café froides et à l’air silencieux, ces marginaux incompris. Ses rêves avortés. Toujours le même cercle qui ne mène nulle part. Elle voudrait se lever et le crier haut et fort, elle l’a chuchoté au creux d’une oreille.
– « Essayons la radio ! », dit-elle, doucement.
“C’est l’histoire d’un homme
Au cœur de bois.
La mer est calme
Sur l’écran de la caméra
Comme une ampoule grillée
Dans un seau d’eau…”
Au son de la musique oscillante, elle s’endort. La maison dans les rafales de vent laisse entendre des bruits de mâts grinçants, des airs d’accordéon enjoué.
“The sea is calm
Trough the video camera
Like a dead bulb light
In a bucket of water
Yes in a bucket of water…”
Le bateau l’emmène vers des îles aux eaux chaudes, aux terres recouvertes de champs de cannes peuplées de fantômes, lieu des amoureux éternels, des trésors enfouis. Le ressac de la mer dans le port, ses pieds enfouis dans le sable noir et tiède.
“The sea is calm
Trough handmade lenses
Like animals
In soundless dream
Like animals
In bottles of butter
A miniature sailboat
Tin foil and paper
The waves are big
And there’s a warm wind
Il était sous le feu des projecteurs
D’un soleil cassé.
Il a jeté son corps comme une ancre
Comme un sucre
Et il s’est dissout.
He’s in the spotlight of a broken sun
He dropped his bo…”
Elle ouvrit les yeux. Elle avait oublié qu’il y avait une tarte et un soufflé dans le four. Ce soir cet homme vient, cet homme au cœur de bois. Elle ronge le cœur de cet homme par son amour enfiévré et destructeur, comme la mer qui polit le bois, petit à petit. On lui a dit un jour : « Si le prix à payer est de mourir étouffé de chagrin, on s’en fout, ça vaut le coup d’oser s’aimer maintenant peut-être un peu trop fort, mais d’y croire jusqu’au bout. »
Ensemble, ils ont entendu les chants antiques et ont chanté en chœur. La première valse, le premier tango et les ritournelles, les élans muets, la java à regret, la samba errante.
De blasphèmes en hérésie, ils entendent en silence la nature se déchirer dans la nuit clair-obscur, sous la lune à peine dissimulée par de lourds nuages. Ils sentent les gouttes de pluie presque acides sur leur peau nue, se mélanger à cette infinie tristesse qui suinte de tous les pores de leur épiderme. Le ciel a des nuances brumeuses d’hiver, ils regardent autour mais ne discernent plus rien, ils sont perdus. Ils avaient pensé laisser chimères et démons derrière eux, mais ils ne trouvent devant eux qu’un monde plus effrayant puisqu’ils l’affrontent maintenant seuls, sans l’assurance de quelques bougies allumées, d’une main tendue, d’un amour protecteur.
Ils entendent les chants antiques sans plus être capable de les murmurer, ils remuent les lèvres en espérant que les ancêtres ne s’apercevront pas de la supercherie.
Aux pieds des oliviers palpitent les origines.
Mélissa, Première année Éd-Lib